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En apparence, John Jacob Astor et sa jeune épouse Madeleine avaient tout pour eux : ils étaient beaux, disposaient d'une richesse fabuleuse et attendaient un bébé. Les choses n’étaient cependant pas aussi roses en coulisses, et le couple a scellé le sort de leur mariage en réservant un voyage à bord du RMS Titanic...
Loin d'un conte de fées
Des centaines de personnes ont perdu la vie lors des événements qui ont suivi, transformant le visage de la haute société américaine de manière irrémédiable.
Mais pour M. et Mme Astor, le naufrage du Titanic a sonné le glas d'une relation qui avait été malmenée par divers défis depuis le début, empêchant ainsi malheureusement ce couple de la haute société de connaître une fin digne d'un conte de fées.
Madeleine Force
Madeleine, née en 1893 à Brooklyn, dans l’État de New York, était la fille de William Hurlbut Force, un important marchand qui siégeait à la Chambre de commerce de la ville.
Son arrière-grand-père était Thomas Talmage, ancien maire de leur quartier. Autant dire que sa famille ne manquait ni d’argent ni d’influence, d'après les normes de l’époque.
Les Quatre Cents
Mais Madeleine et ses parents étaient encore bien loin d’atteindre les échelons supérieurs de la société new-yorkaise, ceux qui réunissaient un groupe surnommé les Quatre Cents.
Ce groupe d’élite, composé des familles les plus riches et les plus distinguées de la ville, était présidé d’une main de fer par la mère de John Jacob Astor, Caroline.
Caroline Astor
Caroline, une descendante des premiers colonisateurs hollandais de New York, faisait partie de l’aristocratie bien établie de la ville.
Elle s'était elle-même nommée arbitre de la haute société suite au boom économique du "Gilded Age" (l’âge doré) qui avait amené de l’argent frais dans les rues de Manhattan, entraînant des fortunes méritées plutôt qu’héritées cette fois-ci.
Contourner les règles
En réalité, la légende raconte qu’un simple signe de tête de Caroline pouvait déterminer la position d'une personne sur l’échelle sociale.
L’argent seul ne suffisait toutefois pas pour s'acheter une place convoitée au sein des Quatre Cents, même s'il coulait à flot à travers la ville. Madeleine avait cependant trouvé un moyen de contourner les règles.
Bar Harbor
Tout comme Caroline, la première épouse de John, Ava, occupait une place importante au sein des Quatre Cents. C'est toutefois dans les bras d’une tout autre femme que John a trouvé du réconfort suite à leur divorce en mars 1910.
En effet, cinq mois après leur rupture, il a rencontré Madeleine, 18 ans, alors qu'il visitait la ville de Bar Harbor, dans le Maine.
Quasiment inséparables
Selon les rapports, John aurait été impressionné par les talents de Madeleine au tennis. Il est ainsi rapidement tombé sous son charme après l’avoir invitée à se joindre à lui pour un match.
Ils sont alors devenus pratiquement inséparables, participant à des dîners ensemble et apparaissant dans la loge privée de la famille Astor au Metropolitan Opera. Ils ont annoncé leur fiançailles le 1er août 1911.
Des fiançailles controversées
Pour Madeleine, John était une conquête de choix.
De 29 ans son aîné, il avait une fortune d’environ 87 millions de dollars, soit l’équivalent de 2,4 milliards de dollars aujourd’hui, et était considéré comme l’un des hommes les plus riches au monde. Beaucoup voyaient toutefois cette relation étonnante d'un mauvais œil, alors que Madeleine continuait de grimper l’échelle sociale.
Entre doute et dédain
Pour certains, Madeleine courait uniquement après son argent, misant sur sa jeunesse et sa beauté pour profiter de son fiancé plus âgé.
De nombreux proches du couple affirmaient qu'une véritable affection mutuelle existait bien entre eux, mais les journaux préféraient plutôt répandre des histoires remplies de doutes et de dédain. Les Quatre Cents se contentaient quant à eux d'ignorer le nouveau membre de la famille Astor.
Le mariage du couple Astor
Caroline était déjà décédée à l'époque, et ses successeurs refusaient d'accepter une personne aussi humble que Madeleine dans leurs rangs. Le couple a même dû se démener pour trouver un prêtre prêt à accepter la tâche controversée de l'officialisation du mariage.
C'est finalement un pasteur de Providence, dans le Rhode Island, qui a célébré la cérémonie, peut-être en échange d'une somme d'argent coquette.
Une longue lune de miel
La relation entre Madeleine et John était donc profondément complexe dès le début. Ils continuaient toutefois de vivre une vie de rêve, du moins en surface.
Suite au mariage, le couple est parti pour une longue lune de miel, visitant les Bermudes avant de rejoindre l'Égypte en janvier 1912. Ils se sont ensuite rendus en Europe.
Le RMS Titanic
À ce moment-là, Madeleine était visiblement enceinte, poussant le couple Astor à réserver un billet pour retourner à New York.
Il n’y avait alors qu’une seule façon de voyager pour l’un des couples les plus célèbres au monde : à bord du Titanic, alors le plus grand et le plus luxueux paquebot à flot. Ce dernier a quitté le port anglais de Southampton pour effectuer son voyage inaugural à travers l’Atlantique le 10 avril 1912.
L'embarquement sur le paquebot tragique
Le Titanic a atteint Cherbourg, en France, dans la journée, là où le couple Astor attendait d'embarquer. Conformément aux normes de l’époque, ils ne voyageaient pas seuls.
John était accompagné de son valet et de son airedale terrier, Kitty, et Madeleine voyageait elle avec une femme de chambre et une infirmière.
La fierté de la White Star Line
Le Titanic, grande fierté de la White Star Line, avait naturellement fait de nombreuses unes à l'approche de son voyage inaugural. Certaines des personnes les plus influentes au monde étaient à bord alors qu’il traversait l’Atlantique à toute vapeur.
La liste des passagers ressemblait ainsi à un véritable dictionnaire biographique de l’élite américaine, de l’homme d’affaires millionnaire Benjamin Guggenheim à Isidor Straus, le propriétaire du grand magasin Macy’s.
Des cabines en première
Le couple Astor appartenait quant à lui à une classe à part entière. En tant qu’homme le plus riche à bord, John avait réservé trois cabines en première classe, considérées comme les meilleures de tout le paquebot.
Madeleine aurait ainsi passé la majeure partie de son temps confinée à l'intérieur afin d'éviter les personnes susceptibles de répandre des ragots sur sa condition délicate.
Une tragédie
Le voyage s’est déroulé comme prévu pendant quatre jours, les passagers de première classe se divertissant dans le gymnase, à la piscine ou au fumoir. Une tragédie a toutefois frappé vers 23h40 le 14 avril.
Le Titanic a heurté un iceberg et a commencé à couler à des centaines de kilomètres au large de Terre-Neuve, au Canada.
Les premiers signes inquiétants
Initialement, personne n'imaginait que les dommages étaient sérieux, la presse ayant après tout qualifié le Titanic de "pratiquement insubmersible". Pourtant, l'eau coulait bel et bien à flot dans les entrailles du paquebot.
En première classe, John a réveillé sa femme endormie et est parti obtenir des réponses directement auprès du capitaine Edward Smith.
Sur le pont
On ignore ce que le capitaine a confié à John, mais il serait revenu à sa cabine avec une expression solennelle. Madeleine s'est habillée avant de se rendre sur le pont avec son mari, où le couple s'est retrouvé au milieu d'une grande confusion.
À ce moment-là, les canots de sauvetage étaient déjà en train d'être baissés, mais peu de gens réalisaient encore la gravité de la situation.
Le canot de sauvetage numéro 4
Alors que les passagers se ruaient sur les ponts, toutes classes confondues, le couple Astor s'est réfugié dans le gymnase du Titanic, où ils ont passé le temps sur des chevaux mécaniques.
Ils ont toutefois fini par reconnaître la gravité de la situation, et John a ainsi aidé Madeleine à passer par une fenêtre pour rejoindre le canot de sauvetage numéro quatre tôt le matin.
Séparés en mer
Selon le témoignage d’Archibald Gracie IV, l’un des rares survivants, J. Astor aurait demandé à être admis dans le canot de sauvetage aux côtés de sa femme et aurait accepté le refus du second officier Charles Lightoller de bonne grâce.
Il aurait alors simplement demandé le numéro du canot afin de pouvoir retrouver Madeleine plus tard.
Les femmes et les enfants d'abord
John Astor savait-il alors que le Titanic était condamné ? Il est tout à fait possible qu’il ait simplement fait bonne figure pour ne pas effrayer sa jeune épouse.
En 1912, "les femmes et les enfants d'abord" était un principe moral standard, et de nombreux hommes à bord auraient préféré finir noyés plutôt que de faire face à la honte d’abandonner le paquebot.
"La mer est calme et tout ira bien"
Le canot transportant Madeleine a été abaissé jusqu'à l’eau glaciale alors que John se tenait debout et observait la scène depuis le pont.
Selon les rapports, il aurait tenté de rassurer sa femme en détresse en lui confiant : "La mer est calme et tout ira bien. Vous êtes entre de bonnes mains et je vous retrouverai demain matin".
Les derniers mots
Ce sont malheureusement les derniers mots que Madeleine a entendu de la bouche de son mari.
D'après les témoignages, John aurait accepté son destin, en fumant nonchalamment une cigarette sur le pont alors que tout le monde paniquait autour de lui. Le Titanic a sombré à 2h20 le 15 avril, avec environ 1 500 âmes encore à bord.
Le naufrage du Titanic
Madeleine a regardé le Titanic sombrer, probablement avec son mari encore à bord, depuis son canot de sauvetage. Ça n'était toutefois pas le moment d'être en deuil pour les personnes à bord des petits canots qui peinaient à s'éloigner du paquebot en train de couler.
En désespoir de cause, plusieurs femmes de première classe, y compris Mme Astor, se seraient même mises à ramer elles aussi.
Le RMS Carpathia
Le paquebot britannique RMS Carpathia naviguait alors à toute vitesse à travers le champ de glace pour atteindre la dernière position connue du Titanic, alors que les canots de sauvetage continuaient de dériver dans l’océan Atlantique. À son arrivée, il n’y avait toutefois presque plus aucune trace de l'immense paquebot.
L’équipage s’est donc tourné vers les 700 survivants, en les gardant au chaud et bien nourris alors qu’ils tentaient de faire face à la tragédie.
De retour à New York
À bord du Carpathia, certains ont eu la chance de retrouver leurs proches, mais pas Madeleine. Trois jours après le naufrage, elle est arrivée à New York avec le reste des survivants et a débarqué dans la confusion.
Sur ordre du médecin, elle a dû respecter un alitement strict pour reprendre des forces suite à cette épreuve traumatisante.
Le cirque médiatique
Le corps de John a été retrouvé sur le site du naufrage quatre jours après l’arrivée du Carpathia à New York. À tout juste 18 ans, Madeleine se retrouvait ainsi veuve et enceinte !
Elle s'est en plus retrouvée au centre d’un cirque médiatique qui a éclipsé tout ce qu’elle avait connu lors de son mariage.
À la une dans le monde entier
Le Titanic a fait la une dans le monde entier, au lendemain du naufrage. C’était le début d’une épreuve de toute une vie pour les hommes qui étaient parvenus à survivre, bon nombre d'entre eux n’échappant pas aux accusations de lâcheté.
Certaines victimes notoires comme John ont quant à elles été considérées comme des héros qui avaient honoré la règle des femmes et des enfants d’abord.
Le Bébé Titanic
Madeleine n'est toutefois pas restée dans l’ombre de son mari bien longtemps. Moins de deux mois après le naufrage, elle a organisé un déjeuner afin de rendre hommage au capitaine du Carpathia, Arthur Rostrom, et le remercier d’être venu au secours du paquebot.
Le 14 août 1912, elle a également donné naissance à John Jacob Astor VI, qui n'a pas tardé à être surnommé le Bébé Titanic.
Le testament de J. Astor
L’attention des journaux était également particulièrement tournée sur le testament de John. Ce dernier avait légué la majorité de ses biens à son fils aîné Vincent, laissant tout de même la coquette somme de 100 000 $ à Madeleine, soit l’équivalent de 2,75 millions de dollars aujourd’hui.
Elle a également obtenu le plein usage de la maison du couple à New York et l’accès à un fonds fiduciaire de 5 millions de dollars.
Des clauses non négligeables
La générosité de John avait toutefois des limites. Une clause interdisait à la jeune femme de se remarier, malgré son jeune âge, sous peine de perdre la maison et le fonds fiduciaire.
Madeleine, dans le rôle de la veuve éplorée, s'est donc retirée de la société et a élevé son fils dans un isolement relatif.
Madeleine, suite au naufrage
Madeleine est restée à l'écart des projecteurs plus d’un an après la catastrophe, préférant se consacrer à sa famille. Puis, une photo d’elle est apparue dans la presse vers la fin de 1913.
Elle est ainsi revenue à la vie publique, un peu comme si un sort avait été brisé, devenant une figure incontournable des pages de potins.
William Karl Dick
Madeleine n'était toutefois pas prête à rester une veuve célèbre toute sa vie, malgré la sécurité financière et le nom influent associés à ce statut. Elle s'est donc remariée en juin 1916, renonçant ainsi à son fonds fiduciaire et sa maison.
Son choix de mari était cette fois-ci moins controversé, Madeleine ayant décidé d'épouser William Karl Dick, un banquier qu’elle connaissait depuis l’enfance.
Le deuxième mariage
Pour l'anecdote, la cérémonie a eu lieu à Bar Harbor, là où Madeleine avait rencontré son premier mari six ans plus tôt.
Le nouveau couple a toutefois décidé de ne pas tenter le destin avec un voyage en mer, préférant passer leur lune de miel en Amérique plutôt qu’à l’étranger. Madeleine a également donné naissance à leur premier fils l'année suivante.
Des problèmes à l'horizon
Deux ans plus tard, un autre fils est né, John Henry Dick, futur ornithologue de renom.
Le fils aîné de Madeleine était quant à lui apparemment en bons termes avec son beau-père, et la famille a connu une période relativement paisible et calme. Le couple a toutefois fini par divorcer le 21 juillet 1933.
Enzo Fiermonte
Madeleine s'est remariée, cette fois-ci avec le boxeur italien Enzo Fiermonte, quelques mois plus tard.
John Jacob Astor VI avait alors 21 ans et n’approuvait pas le choix du partenaire de sa mère, ce qui n'a pas empêché Madeleine de quitter New York pour vivre à Palm Beach, en Floride, avec son nouvel amoureux.
Les dernières années de Madeleine
Tout comme ses deux mariages précédents, l’union de Madeleine avec E. Fiermonte ne s'est pas terminée en beauté. Elle a ainsi divorcé pour la deuxième fois le 11 juin 1938.
Après avoir eu trois maris, elle a passé le reste de sa vie seule dans son manoir de Palm Beach, où elle est décédée le 27 mars 1940 des suites d’une maladie cardiaque, à seulement 46 ans.
John Jacob Astor VI
Même la mort de Madeleine n'aura pas permis à la famille Astor fragmentée de trouver la paix. Vincent, le fils aîné de John décédé sans héritier en février 1959, avait décidé de ne rien laisser à son demi-frère.
Après une longue campagne juridique, John Jacob VI est tout de même parvenu à hériter de 250 000 $, ce qui ne représente toutefois qu'une infime partie de la fortune de son défunt père.
Une mariée adolescente au destin tragique
M. et Mme Astor avaient toute la vie devant eux et le monde à leurs pieds lorsqu'ils sont montés à bord du Titanic, mais le destin en a décidé autrement.
Plus d’un siècle plus tard, on se souvient encore de Madeleine comme d'une veuve adolescente victime d'une terrible tragédie. Et cela pourrait bien rester son ultime héritage, malgré une vie particulièrement mouvementée suite au naufrage.